11 septembre 2016. Bruxelles s’éveille dans une douceur grisâtre. Le calme qui règne dans le métro ce dimanche me plonge dans la rêverie. Pas dans la solitude: je me sens d’ores et déjà reliée à toutes les personnes qui, comme moi, se rendent à la conférence « Engagement individuel et responsabilité collective » du Dalaï-lama.
Les consignes de sécurité pour celle-ci sont strictes. Notamment, aucun sac n’y est admis. Ce voyage sans aucun bagage bouscule quelque peu mes habitudes et m’interpelle: nous nous déplaçons si rarement dans la légèreté, encombrés que nous sommes par l’esprit de prévoyance et la crainte du manque. Cette prise de conscience me fait remarquer, sur les escaliers roulants à la sortie du métro, les longues processions de trolley bags se laissant religieusement emporter vers les temples de la consommation, tandis que, dans les sacs de sport accrochés aux épaules, des chaussures à crampons s’apprêtent à vénérer le dieu football. A chacun son dieu. Quoique. Le concept de dieu est étranger aux bouddhistes, qui placent la divinité au cœur de chaque être vivant.
Ce n’est pas tant la figure représentative du bouddhisme que je vais écouter aujourd’hui. En recevant le prix Nobel de la Paix en 1989, le Dalaï-lama s’est fait porteur d’une voix dont l’écho porte au delà des frontières, des races ou des croyances religieuses. En témoigne la diversité du public qui s’avance vers le Brussels Expo où se déroule la conférence.
Sur le site, les panneaux indicateurs me font sourire: le talk du Dalaï-lama côtoie l’exposition Harry Potter. Spiritualité et sorcellerie: deux directions qui parfois sont confondues. Ne pas se tromper de chemin.
Le Dalaï-lama ne joue pas la star: il entre en scène avec un quart d’heure d’avance pour saluer chaleureusement son auditoire: dix mille personnes venues des quatre coins de Belgique et de l’Europe.
« Parce-que nous sommes les mêmes, que nous naissons et mourrons de la même façon, et que toutes les distinctions ne sont que secondaires, je vous appelle mes frères et sœurs »
Ainsi commence le discours du Dalaï-lama, qui sera articulé autour de ses 3 principaux engagements de vie:
- promouvoir l’unité de l’humanité;
- amener une harmonie dans les différentes religions
- préserver la culture et l’environnement tibétains
Promouvoir l’unité de l’humanité
7 milliards d’êtres humains partagent une humanité commune. En nous arrêtant à des distinctions secondaires telles la race, les croyances religieuses, les castes, etc., nous oublions le niveau humain fondamental. Le monde d’aujourd’hui requiert d’accepter l’unité de l’humanité. Nous ne pouvons plus prétexter les barrières nationales, raciales ou idéologiques, qui nous divisent, sans qu’il en advienne des répercussions délétères.
Nous affrontons des problèmes d’ordre écologique qui, avec le réchauffement climatique et la mondialisation de l’économie, enseignent que chacun d’entre nous ne doit plus penser de manière isolée, en se focalisant uniquement sur l’intérêt de sa personne ou de son pays.
Pour relever les défis de notre temps, les êtres humains auront à développer un sens plus grand de responsabilité universelle. Adopter cette attitude de responsabilité universelle est essentiellement une affaire personnelle, dont les fondements sont l’altruisme et la paix intérieure.
Amener une harmonie dans les différentes religions
Selon le Dalaï-lama, toutes les religions enseignement fondamentalement la même chose, et toutes ont la capacité de générer de merveilleux êtres humains. Les religions ne sont pas mauvaises en soi. Ce qui pose problème, c’est l’idée que les croyants se font de la suprématie de leur dieu.
Sur le plan individuel, il est essentiel, si l’on est engagé sur un chemin spirituel, d’être convaincu que la voie suivie est juste. Mais sur le plan collectif, considérer que sa religion est la meilleure n’a aucun sens. Il est totalement irréaliste de vouloir rassembler tous les fidèles autour d’une seule vérité, d’une seule foi. Il faut admettre qu’il y a plusieurs vérités dans plusieurs systèmes de croyances, tous bénéfiques au plus grand nombre.
Préserver la culture et l’environnement tibétains
Renfermant la réserve de glace la plus importante au monde après le pôle Nord et le pôle Sud, le Tibet est qualifié de « troisième pôle », dont l’importance est vitale. En raison de la fragilité de l’écosystème (du fait de sa haute altitude et de son climat sec), le plateau tibétain est particulièrement vulnérable au réchauffement climatique. Plus d’un milliard de personnes dépendent des fleuves qui descendent du Tibet vers la Chine, mais la sauvegarde de l’environnement tibétain est un enjeu crucial pour une bien plus large partie du monde.
« Si vous me considérez comme votre ami, faites-vous porteurs de ce message d’harmonie et d’unité de l’humanité. Si vous me considérez comme étranger -voire étrange-…ce n’est pas grave! »
Le personnage est surprenant, déconcertant même, dans sa façon de passer de l’humour, l’autodérision, la pitrerie parfois, à une profonde gravité. Cela n’en rend son discours que plus touchant.
« Certes, l’attitude éthique que j’adopte n’est pas une solution directe aux problèmes immenses du monde. Mais elle représente une dynamique positive qui s’appuie sur la force d’une vision partagée et la volonté d’œuvrer en synergie avec tous ceux qui se mobilisent au nom de l’humanité ».
Ces mots qui clôturent ce billet sont issus du ‘Manifeste de la responsabilité universelle’ récemment rédigé à la demande du Dalaï-lama par Sofia Stril-Rever (références ci-dessous). Je vous engage à le lire pour comprendre plus en profondeur ce que je n’ai fait ici qu’esquisser.
Nouvelle réalité, L'âge de la responsabilité universelle, Sofia Stril-Rever, Editions de Noyelles, 2016.