Que nul, étant jeune, ne tarde à philosopher, ni, vieux, ne se lasse de la philosophie. Car il n’est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard, pour assurer la santé de l’âme. Celui qui dit que le temps de philosopher n’est pas encore venu ou qu’il est passé, est semblable à celui qui dit que le temps du bonheur n’est pas encore venu ou qu’il n’est plus. (Epicure, Lettre à Ménécée)
Les enfants ont ceci en commun avec les philosophes: ils ne sont jamais rassasiés de savoir, de questionner le monde. Les interrogations fondamentales ne cessent de s’éveiller en eux: Où j’étais avant de naître? C’est quoi être heureux? Pourquoi ce sont les enfants qui doivent obéir aux parents? Qu’est-ce qui se passe quand on est mort? Et quand le chat meurt? Et le moustique que tu viens d’écraser? Le philosophe Roger-Pol Droit l’affirme: «les philosophes sont des enfants qui n’ont pas renoncé à leurs questions. (…) Ce sont des enfants qui résistent, qui refusent d’abandonner l’interrogation permanente qui naît de l’étonnement».
Lorsque surgissent ces questions, parfois dans les moments les plus impromptus, la tendance des parents peut être de réagir par l’esquive («pas maintenant, je suis occupé(e)!», «tu comprendras plus tard…», «demande à Google!»,…) ou par la démonstration que leur propre réponse est LA vérité, intangible et ne pouvant être remise en cause. Il faut dire que les questions ont parfois de quoi désarçonner les plus volubiles. Si la première réaction (l’esquive) laisse l’enfant seul face à son incertitude, et peut le faire douter de la légitimité du questionnement, la seconde (la vérité close) bride sa curiosité naturelle, sa capacité de raisonnement, et n’est pas toujours de nature à ôter les doutes qui l’assaillent.
Nul besoin d’être Docteur ès philosophie, d’avoir étudié l’œuvre complète de Kant ou de transformer le salon en salle de conférence pour emmener l’enfant dans un raisonnement philosophique. Il s’agit plutôt de rentrer dans le jeu de l’interrogation, de l’étonnement avec lui, de l’accompagner dans sa réflexion, et d’éventuellement lui proposer des pistes pour aller plus loin. Si l’inspiration vous manque ou que la caissière du supermarché s’impatiente, vous pouvez toujours proposer à l’enfant de réfléchir ensemble à sa question un tout petit peu plus tard, en ayant pris soin d’accueillir sa question comme importante.
Je vous livre ici un petit exemple sur lequel j’ai pu «rôder» mon expérience, avec mon fils de 8 ans, revenu plusieurs fois à la charge sur le sujet:
– Maman, je réfléchis et réfléchis à quelque chose, mais je ne trouve pas de réponse. À quoi ça sert de vivre?
– C’est une très belle question que tu te poses. Et je trouve le fait même d’y réfléchir très important.
– Oui, mais c’est pas chouette, parce que je ne trouve pas de réponse.
– Eh bien, disons qu’il n’y a pas une réponse dont on est certain à 100%, et que chacun peut se créer sa propre réponse.
– Tu le sais, toi, à quoi ça sert de vivre?
– J’ai mon idée là-dessus, on en a déjà parlé, mais si tu t’interroges, c’est peut-être parce que tu as besoin d’explorer d’autres réponses possibles. Peut-être peut-on poser la question différemment, pour trouver un début de réponse. On pourrait par exemple se demander: «qu’est-ce qui rend la vie belle?»
– Être avec mes copains rend la vie belle, mais ça ne me dit pas à quoi ça sert.
– Est-ce que tu en es certain? Tu ne penses pas que les choses qui nous rendent heureux peuvent nous aider à comprendre à quoi sert la vie?
– Je ne sais pas…(silence). Peut-être.
Avec les jeunes enfants, il est rare que l’échange se poursuive au-delà de quelques minutes, mais ces quelques minutes d’échange sont le carburant permettant au moteur de l’imagination de repartir de plus belle sur les routes de la découverte. Il est encore plus rare qu’il aboutisse à une réponse. La diversité des réponses possibles est d’ailleurs l’un des enseignements les plus riches de la démarche, et un «peut-être» de l’enfant en guise de conclusion est la promesse de nouvelles explorations…et de nouvelles questions, qui donneront lieu à de nouvelles discussions. Celles-ci pourront être alimentées par l’un ou l’autre livre adapté à l’âge de l’enfant, ou par un jeu. Pourquoi ne pourrait-on s’amuser en philosophant? Marionnettes, Playmobils®, peluches ou déguisements sont autant de supports à l’échange et à la pensée créative.
Outre le bonheur de partager des moments qui peuvent être d’une surprenante intensité, l’accompagnement de l’enfant dans ses questionnements renforce sa confiance, développe sa capacité à penser par lui-même, son esprit critique face à des discours tout faits, l’ouvre à la diversité de la pensée humaine et instaure un lien de dialogue naturel avec l’adulte.
Pour aller plus loin: Les p'tits philosophes, Jean-Charles Pettier et Sophie Furlaud (2 tomes) Osez parler philo avec vos enfants, Roger-Pol Droit