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Parle-moi de la mort, ou je te jette un sort!

Ça y est…Squelettes déglingués, crânes phosphorescents, zombies de pacotille, revenants hagards, cercueils grinçants et autre camelote morbide sont sortis des placards et s’agitent sur les devantures dans leur épouvantable –ou pathétique- ballet d’Halloween. En cette période, le contraste est saisissant entre la vitrine à ciel ouvert de gadgets qui évoquent le trépas de la manière la plus grotesque, et notre propre appréhension à parler de la mort, particulièrement à nos enfants. Les poignées de sucreries que l’on fourre dans les petits sacs tendus le soir des sortilèges auraient-elles le pouvoir d’empêcher les images macabres et idées terrifiantes de s’engouffrer dans le vide de mots? Et l’écho de notre propre peur de la mort de résonner dans l’esprit des plus petits?

Si le paradoxe est criant à Halloween, il n’en demeure pas moins qu’en tout temps, les enfants sont confrontés à des images ou des évènements liés à la mort, dont ils se construisent leur propre représentation. C’est que la mort –et le mystère de l’au-delà de la mort- est un sujet bien souvent tabou, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’aborder avec des enfants. Pourquoi faudrait-il d’ailleurs en parler alors pour la plupart, ils ont «toute la vie devant eux»?

Voici selon moi trois bonnes raisons d’oser parler de la mort aux enfants, et quelques pistes pour ce faire…Mais d’abord, une précision: je n’entends pas aborder ici la délicate question de l’enfant face au deuil d’un proche, qui est un processus long et complexe, mais l’instauration d’un dialogue dans un contexte émotionnel serein.

1) Les enfants sont naturellement pleins de questions au sujet de la mort

La première bonne raison d’évoquer le sujet de la mort avec les enfants est que c’est justement dans l’enfance que naissent les questions et angoisses à son sujet, même si le caractère irréversible de la mort n’est compris que vers 6-7 ans. Je me souviens qu’à trois ans à peine, mon fils se souciait non de la mort en elle-même, mais de la séparation: «Comment je ferai maman, quand tu seras morte, pour savoir dans quelle étoile tu es et pour te retrouver ?».

Fermer le dialogue à ce sujet –fût-ce dans l’idée de protéger- laisserait l’enfant démuni et en proie aux tourments existentiels, à toutes les incompréhensions, suppositions, dramatisations, nourries des images de la mort plus souvent terrifiantes que paisibles. Daniel Oppenheim, psychiatre, et Olivier Hartmann, pédiatre oncologue, qui ont cosigné un article sur la question «Doit-on parler de la mort à un enfant?» indiquent que «quand l’enfant montre, par ses questions, son comportement, son malaise, qu’il a besoin de dialoguer, qu’il y est prêt, quelle que soit la complexité de la question en jeu, le silence est pire que la maladresse ou la gaffe toujours possibles. C’est l’enfant qui guide l’adulte, et la question qui le travaille se découvre dans le dialogue» (Oppenheim Daniel, Hartmann Olivier, «Doit-on parler de la mort à un enfant?», InfoKara 2/2003 (Vol. 18) , p.49-51).

2) Laisser ouvert le champs des possibles

De manière assez naturelle, la plupart des enfants, avant d’être programmés selon le modèle dans lequel ils évoluent, ont une propension à la spiritualité. Je ne parle pas ici de religion, mais de la capacité à concevoir une dimension visible, et une dimension invisible, et celle de se relier à leur monde intérieur. Affirmer abruptement à l’enfant qu’après la mort, c’est le néant, que la vie est dans la matière et rien que dans la matière, c’est quelque part risquer de l’amputer d’une dimension de son être, de son accomplissement.

À l’inverse, conquérir la spiritualité de l’enfant à la manière d’un prophète qui ne laisserait aucun espace à quelque autre vision ne fait –au mieux- que reporter le questionnement, quand la colère de se sentir abusé ou enfermé dans une contrevérité ne prend pas le dessus.

Bien-sûr, s’il est animé d’une intime conviction, l’éducateur pourra la transmettre, mais en la présentant comme telle, et comme une vision parmi d’autres opinions respectables, à côté desquelles il y a également tout un espace naturel de doute. N’est-ce pas là une manière d’incarner la tolérance qu’il semble si urgent d’inculquer dès le plus jeune âge?

3) Aiguiser l’esprit critique face au danger de manipulation

Tôt ou tard, les enfants seront en recherche de réponses par rapport aux questions qu’ils se posent, se mettront en quête de sens, voire d’absolu. Leur transmettre la capacité de faire confiance à leur voix intérieure, à leur spiritualité, à se familiariser avec celle-ci, à compter sur les ressources qui les animent, c’est leur donner toutes les chances de ne pas se tromper de chemin dans cette recherche, et d’éviter de tomber dans les pièges du mysticisme sectaire ou de toute autre forme de manipulation.

« On profite plus des choses si on sait qu’on est mortel » Madeleine, 9 ans

Dans son livre tout récemment paru «Méditer et philosopher avec les enfants», Frédéric Lenoir propose une autre manière d’aborder la mort avec les enfants. Si l’on est mal à l’aise dans une approche directe, le dialogue peut s’établir autour de la question suivante: «vaut-il mieux être mortel ou immortel»? Il s’avère que la plupart des enfants auxquels cette question a été posée (qui avaient 8 ans et plus) ont répondu qu’ils préféraient être mortels et se montraient tout à fait sereins par rapport à leur propre fin. Cela laisse interrogateur sur la véritable cause du malaise de nombreux adultes à évoquer le sujet.

Voici quelques réponses qui m’ont touchée:

« Si on était immortel, le monde n’évoluerait pas, parce qu’il y aurait toujours les mêmes personnes qui ne changeraient pas elle-mêmes et les choses n’évolueraient pas » (Eline)

« C’est mieux de ne pas être immortel, parce qu’on profite plus des choses si on sait qu’on est mortel » (Madeleine)

« Je trouve que dans une histoire c’est bien qu’il y ait un début et une fin. Parce que quand on naît, on est content de vivre et on vit plein d’aventures et il arrive un moment où on s’épuise. Alors c’est bien que ça finisse » (Castille)

Je vous souhaite un joyeux Halloween, ouvert au dialogue, au mystère et à la magie!

Références:

"Parler de la mort", Francoise Dolto, Editions Mercure de France

Quand les scientifiques osent la spiritualité:
"La mort expliquée aux enfants", Dr Jean-Jacques Charbonnier
"Oser parler de la mort aux enfants", Dr Olivier Chambon (ce livre contient en outre une impressionnante bibliographie et des annexes par lesquelles l'auteur entend documenter scientifiquement la survie de l'âme après la mort)

Livres d'enfants:
"Les questions des tout-petits sur la mort", Marie Aubinais
"Sam&Watson: les saisons de la vie", Ghislaine Dulier, Bérangère Delaporte